7 semaines de plâtre, une aventure en soi

Bonjour à tous ! Le 28 juin dernier, vers 14h30, je glissais bêtement sur des marches devant Bercy : ce qui donnera 7 semaines de plâtre, une aventure en soi. Bilan : plâtrée avec suspicion d’une fracture. Une semaine plus tard, j’étais opérée pour une double fracture des malléoles (les boules sur la cheville) déplacée (l’os n’était plus dans sa trajectoire naturelle). Commence alors quelques mois d’apprentissage, de nouveautés.

Je n’écris pas pour me plaindre mais bien pour essayer de raconter mon expérience, qui pour la plupart du temps c’est très bien passé. J’ai eu beaucoup de chance et j’en suis conscience et reconnaissante !

Apprendre à voir son corps changer

La première chose qui m’a frappé est ce corps qui change petit à petit. Déjà dans un premier lieu, la blessure en elle-même crée un membre tordu, boursouflé, coloré. J’ai été plâtrée deux fois. Le premier plâtre me faisait si mal, trop serré, que je suis allée aux urgences pour le faire desserrer. Heureusement car c’est à ce moment qu’ils ont pu voir l’étendue des dégâts (c’est-à-dire la double fracture et le déplacement).

Mais entre temps, j’ai passé l’après-midi avec mon pied à l’air libre. Cela faisait une semaine et je le revoyais enfin. Mon petit pied carré multicolore. J’ai eu du mal à comprendre que ce membre si torturé était bien le mien. Puis au fur et à mesure, je l’ai aimé à nouveau. C’était très étrange comme sensation. Entre le jaune du tibia, le noir sous la malléole et les boursouflures un peu partout, mon propre pied me paraissait étranger. Mais j’aimais exhiber ce membre difforme, des couleurs que l’on ne voit jamais. Bon, ok l’avoir a l’air libre c’était quand même aussi un peu pénible car cela pulsait régulièrement dedans ma jambe.

platre-2

L’effet jambe molle

J’ai été opérée et pendant 2 mois, je n’ai pas pu voir à quoi ressemblait ni mon pied, ni mes nouvelles cicatrices. Pendant 2 mois, je me suis demandée à quoi il ressemblait, si tout se passait bien etc. Mais j’ai pu assister à une autre transformation : ma jambe.

Ma jambe est devenue maigre et molle, ma fesse aussi. La perte musculaire s’est faite progressivement, disons en 2 semaines c’est devenu visible. Au touché, mon muscle disparaissait peu à peu, il fondait. La comparaison avec l’autre était impressionnante. Soulever ma jambe est devenue plus dur, plus fatigant même si j’essayais de faire des sortes d’exercices de musculation. J’essayais car ça n’a rien donné. L’autre jambe a un peu suivi le mouvement de son amie mais d’une moindre mesure.

Piqûre journalière, 10 min de plaisir

De plus, immobiliser la jambe n’est pas sans conséquence et cela peut entraîner des complications comme la phlébite. Des caillots de sang peuvent se glisser dans les veines du mollet et si ceux-là se décrochent peuvent boucher le cœur, on parle alors d’embolie pulmonaire, qui peut être fatale. Non, sans façon donc. Pour éviter ça, tous les jours, je dois recevoir une dose d’anticoagulant. Ce qui est bien est que la piqûre est faisable par tous, pas besoin d’être expert ; ce qui est moins cool est les bleus qu’elle laisse. Encore une fois, j’ai été plutôt bien logée car mes bleus sont tout petits et ressemble plus à des piqûres de moustiques qu’à des cratères, ce qui peut être le cas chez certain.

Comme je le disais, pas besoin d’être expert si bien que j’ai appris à me faire mes piqures moi-même alors que je déteste regarder les prises de sang ou quand je vais le donner. Il suffit juste de retirer le cache de piqure, mettre un peu d’alcool là où l’on va insérer l’aiguille, faire un pli de peau à cet endroit, piquer (ça rentre  dans du beurre), pousser le piston et boum l’aiguille ressort seule et protégée par une gaine de plastique. Plus qu’à attendre quelques instants (ou pas) pour faire passer le produit qui peut brûler par moment.

platre-4

Gros biceps, tu vas devoir avoir

C’est à ce moment qu’il va falloir compenser avec les autres membres : les bras surtout. Entre les béquilles et le fauteuil roulant (non ce n’est pas si cher d’en louer un et c’est super pratique), il a bien fallu béquiller ou rouler. Pour sortir, j’essayais d’avoir toujours les deux avec moi, car on est jamais à l’abris que le fauteuil ne passe pas quelque part. Le fauteuil est vraiment très pratique. Pour peu qu’il y ait suffisamment de débattement dans une pièce, on peut être plus mobile et plus autonome avec. Les béquilles sont fatigantes et je ne peux pas transporter de choses avec (ou que des choses qui s’accrochent). Des détails qui changent tout. C’est là où le paragraphe suivant est important.

Découvrir le handicape

J’ai toujours été admirative des handicapées, je sais combien leur vie n’est pas facile car rien (ou peu) n’est fait pour eux. Rouler en fauteuil m’a permis de m’en rendre compte physiquement.

Bien sûr, je ne serais jamais légitime de parler de handicape mais j’ai pu toucher rapidement du doigt ce qui pose problème. Déjà d’une, je n’ai pas leur force physique et leur état d’esprit et de deux c’est temporaire pour moi. Donc bravo à tous-tes ceux-celle qui vivent ça au quotidien. Pour autant, j’ai envie quand même de partager ma petite expérience car plus on en parle, plus c’est visible.

platre-5

La rue devient une jungle.

Les trottoirs, même avec un tout petit rebord, deviennent un obstacle. Je ne parle pas des gens qui se garent sur les trottoirs et qui ne laissent pas d’espace pour passer. Je suis globalement obligée de rouler sur la route même. Les revêtements de la chaussée ne sont pas les mêmes, c’est là où chaque détail compte. Même des trottoirs avec un superbe revêtement lisse, personne de garer dessus, s’il est un peu en pente devient une lutte pour ne pas dévier de trajectoire, et se retrouver dans un portail.

Pas tout le temps mais certains pas de portes sont aussi des luttes. Un seul petit rebord et hop me voilà pagayant des bras, tirant, sautant sur un pied pour pouvoir ouvrir une porte trop lourde. Et encore, je peux me mettre sur ma jambe valide ! Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Je suis chanceuse d’avoir encore cette possibilité-là.

Sortir ?

Sortir devient un problème à réfléchir en amont. Aller au restaurant ou plutôt arriver à y rentrer ou à aller aux toilettes (en paniquant que celles-ci soient au 1e étage ou en sous-sol) se pose à l’esprit. Pour pouvoir profiter d’un événement dans la ville de Nantes, nous avons dû vérifier que les trams ou les installations étaient faites pour les handicapées. Heureusement la ville de Nantes a pensé à eux, et je les en remercie ! Et j’ai eu pas mal de chance. Le quartier où j’ai logé quand j’étais à Nantes était plutôt handicap-friendly, si je peux dire.

Dans les autres villes, cela se complique car ce sont des villes en pente, il faut alors s’armer de patience et de force pour grimper les rues. De plus, certaines villes sont certes extrêmement belles mais les pavés sont glissants et j’ai fini sur les fesses pour éviter que mes béquilles ne dérapent. Une fracture du coude en plus ? Je passe !

Et pour finir, attention à la météo ! En été, le pied est à l’air libre donc il faut bien le couvrir de crème solaire, il va gonfler s’il y a de fortes chaleurs. Et l’ennemi public devient la pluie car le plâtre ne doit jamais être mouillé donc préparez le sac poubelle de survie.platre-3

Faire différemment les choses

Etre handicapée c’est voir la vie différemment et les gestes d’ordinaire si simples sont à revoir, à réinterpréter, à inventer des astuces pour voir plus facilement.

Les escaliers se montent et se descendent sur les fesses, sauf si ceux-là sont larges et permettent les béquilles. Mais il faut aimer le cloche-pied. Le fauteuil devient une aide pour transporter des objets d’un point A à un point B. Les béquilles servent de porte-manteau, le soutien-gorge de poche (vu que sur les vêtements féminins, peu de poches). Toutes les chaises/bancs deviennent des cales pour mon plâtre (pour éviter/faire dégonfler les œdèmes, il faut maintenir la jambe haute, plus haute que son cœur si c’est possible). Faire à manger et se laver, ok mais avec une chaise à proximité pour pouvoir se reposer. Et se laver c’est au gant de toilette, plus de douche, plus de bain !

Cela veut aussi dire être dépendant des autres. Ou pas si tu es un-e warrior ou que tu n’as pas le choix et je t’encense.

La réaction des gens est multicolore

Le handicape fait réagir. Que les gens soit mal à l’aise ou avenant, peu reste indifférent. Le fauteuil fait bien sûr plus grande impression que les béquilles. J’ai pu donc testé toutes les personnalités du monde. On peut passer du papy qui souffre avec toi et t’aide alors qu’il est plus mal en point que toi, les gens qui ne bougent pas d’un pouce pour te céder la place, les enfants qui louchent et buggent sur ton pied pendant dix minutes quitte à perdre leurs parents de vue, ceux qui ont la même chose et qui partage leur expérience, ceux qui découvre les plâtres fendus (le mien était différent des autres) et bien sûr, ceux qui ont le calembour facile ou la réflexion entendue trente fois en deux mois.

Bonne saison pour avoir un plâtre ! La plage te manque pas trop ?

Honnêtement, non. Non car j’ai un tempérament calme et qu’être immobiliser ne me fait pas peur et que je sais que si je veux sortir, je sortirais. Je ne me priverais pas d’une escapade malgré ma jambe. Pour preuve, j’ai monté un donjon sur les fesses pour pouvoir admirer la vue. J’aurai pu rester en bas mais je savais que je pouvais monter aussi. Donc chacun vit l’immobilisation à sa manière.

Ce n’était évidemment pas méchant de me dire que c’était la meilleure saison. J’ai bien sûr pas choisi de tomber. Maiiiiis peut-être que j’aurai plus souffert en hiver, le pied dans la neige, qu’il pleuve en permanence etc. Peut-être que l’été était la meilleure saison pour moi de tomber car franchement, je n’ai pas vécu ce moment comme douloureux. En plus, mon plâtre ne m’a même pas gratté, que demande le peuple ?

platre-1

La méritante c’est ma maman

Tomber dans mon cas donc ce n’est pas un drame mais est-ce qu’il n’y a que moi quand je tombe ? Non, il y a aussi celle que je vais appeler en premier, celle aussi à qui je pense en premier en me disant « oh non, encore des problèmes pour elle ». J’ai sûrement été égoïste en l’appelant, en restant deux mois avec elle, en étant un petit poids (à pousser dans les montées), en voulant de la compagnie à cette instant et pendant cette période étrange.

Elle a attendu une après-midi aux urgences pour mon plâtre trop serré. Elle a appris à me piquer car au début, j’avais un peu peur de le faire. Elle a poussé mon fauteuil, elle a porté mon fauteuil rien que pour le mettre dans la voiture. Elle a aussi trouvé des activités à faire dans une région montagneuse où je pouvais venir. Elle a renoncé, tout comme moi, à marcher comme c’était prévu dans cette région montagneuse. Elle s’est inquiétée lorsque j’étais au bloc et elle va venir lorsque je serais déplâtrée.

Bref, dans mon cas, je ne suis pas celle à plaindre.

platre-6

Merci la Sécu, merci le personnel médical !

Et enfin, je voudrais parler du système de santé français. Je pourrais vous parler des urgences, du temps d’attente ou de la désorganisation mais je pourrais surtout vous parler des gens qui sont là, qui vous accueille, vous écoute. Je parlerais surtout des humains qui sont là pour essayer de s’occuper de tout le monde en même temps, qui viennent vous voir dès que vous les appeler, qui réponde à vos angoisses ou vos questions.

Je vous raconterais aussi du peu de frais que j’ai dû dépenser pour une opération, deux plâtres, deux jours en hôpital, des infirmières à domicile ou à 3min en fauteuil, des pompiers qui te baladent pendant 15min en ambulance. Bref, nous sommes vraiment chanceux d’avoir ce système et je suis ravie de payer des impôts pour ça. Même si je suis bien naïve de croire que mes impôts vont dans la santé.

C’est vrai que j’aimerai que l’on arrête de supprimer des emplois ou que l’on baisse les salaires de celle et ceux qui œuvrent chaque jour pour apporter des soins. Cela me fait au cœur de voir que l’on paye moins celle-ceux qui s’occupent de notre santé que de celle-ceux qui pensent à aller foutre des bombes sur les Syriens.

Je terminerai donc en remerciant le système de santé et bien sur, toutes les petites mains invisibles qui occupent les hôpitaux, les cabinets de médecine ou encore les auxiliaires comme les ambulancières-ers ou les brancardières-ers.

Portez-vous bien !

6 Responses

Add a Comment

You must be logged in to post a comment