Les symboles de Prisoners de Denis Villeneuve

“Priez pour le meilleur mais préparez-vous pour le pire”. Voilà le slogan de ce film. Un film qui va parler de relation au destin, à la fatalité et donc à Dieu. 

Je vais beaucoup parler de Dieu dans cet article. N’étant pas croyante, j’en parle comme d’une force supérieure mais donnez-lui n’importe quel nom suivant vos croyances. Ne nous attachez pas à ce mot spécialement !

Prisoners est un film de Denis Villeneuve, un de mes réalisateurs préférés depuis longtemps, sorti en 2013.

Tout se passe bien dans la vie de Keller, un bon père de famille, un poil strict. Sauf qu’un jour de fête, sa fille et la fille de son meilleur ami disparaissent. Keller va alors tout faire pour retrouver sa fille, quitte à entraver les recherches du shérif Loki.

Le titre et le symbole du labyrinthe souvent utilisé sont très explicites pour l’intrigue. Chaque personnage est prisonnier de son propre labyrinthe.

Ce film nous offre la performance de trois gros acteurs et donc trois gros personnages : Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal et Paul Dano. J’avoue que pour moi, les autres acteur·trices sont éclipsé·es mais il n’en reste pas moins extrêmement bon. 

Mais c’est surtout que l’écriture des personnages et de l’histoire entière reste incroyable. Ce qui est bien est que même les femmes n’ont pas plus d’humanité dans certaines circonstances que les hommes. Ce qui rend le film encore plus intéressant et peu manichéen. On sent toute la nuance dans chaque personnage. 

La foi de Keller

Keller, joué par Hugh Jackman, a perdu son père, jeune, celui-ci s’étant suicidé. Il va donc orienter toute sa vie vers la protection de sa famille. On peut d’ailleurs voir dans sa cave, tout un arsenal dédié aux catastrophes comme un masque à gaz et une importante réserve de conserve. Sauf que même avec toute la meilleure volonté du monde, on ne peut pas tout protéger à 100%.

C’est un personnage tourné vers la religion. On le voit prier plusieurs fois dont la scène d’ouverture du film. On pourrait penser qu’il s’en remet à dieu mais il est rarement d’accord quand celui-ci le met sous l’épreuve, à nouveau, de la perte d’un être cher. Il y a un autre élément d’écriture pour Keller qui le rapproche de la religion chrétienne est qu’il est charpentier de métier, tout comme Joseph, le père de Jésus.

Keller tente de fermer sa blessure d’abandon en prévoyant plus que nécessaire. Il devient un survivaliste aux règles strictes capable de s’en sortir.

Lorsque sa fille a disparu, il va tout faire, et je dis bien tout faire, quitte à outrepasser les lois de Dieu et des hommes, pour retrouver sa fille. Il est d’ailleurs souvent montré fusionnellement avec celle-ci, ils sont souvent à deux dans le cadre jusqu’au symbole des brosses à dent dans le même verre. 

C’est donc un personnage très très fort car il montre cette volonté d’agir avec force et violence face à l’adversité. Malgré la non-moralité de ses actes, c’est par ricochet qu’il arrivera à faire sauver sa fille. Mais généralement, cette position rend très vulnérable. 

Il est prisonnier de ses obsessions, ce qui l’aveuglera face à la vérité.

Keller, l’homme qui refuse le destin

L’instint de Loki

Le personnage du shérif Loki, incarné par Jake Gyllenhaal, (rien que le choix de ce nom est incroyable) est l’antithèse de celui de Keller. Il est plutôt versé dans la foi pure et se laisse balancer par les vents de la destinée mais aussi son intuition. On le voit car il demande un gâteau chinois dans sa scène d’introduction et lit l’horoscope chinois, quoi de plus parlant et surtout étonnant qu’un film, normalement des archétypes cartésiens, lire un horoscope.

Loki est normalement le dieu du chaos dans la mythologie nordique, je vous la fais en très très schématique, ce n’est pas un cour théorique sur qui est Loki, on en aurait pour des heures. Ici, il incarne une sorte de laisser-aller mais il va représenter pour Keller le dieu qu’il appelle du plus profond de ses ténèbres. C’est donc intéressant de voir que le dieu qui pourrait lui répondre est Loki et non le dieu chrétien. 

On voit régulièrement Loki être filmé de dos lors des moments cruciaux. Cela donne une impression de distance et en même temps de domination du personnage qui sent qu’il n’est pas loin mais sa part humaine, si on peut dire, ne voit pas les indices sous ses yeux.

Deux personnages qui s’affrontent psychologiquement et scénaristiquement

Il y a aussi deux parts qui s’affrontent en lui : le calme et la rage. Cela en fait un personnage ambivalent tout comme la nature humaine. Et pourtant, sa « foi » (s’il en a une car ce n’est pas explicite dans le film) n’est jamais atteinte. Les épreuves qu’on lui envoie lui permettent d’avancer. Même si il deviendra de plus en plus impliqué émotionnellement dans l’affaire, comme si la volonté de Keller l’empreignait lui-aussi, il réussit à convertir cette énergie en force d’action tout en restant dans les clous de la loi.  

Le passé de Loki serait qu’il fut un délinquant puis aurait trouvé une sorte de catalyseur à sa rage dans la police et donc dans la loi mais aussi la justice. Il est profondément juste et ne s’arrête pas aux apparences. Lorsqu’il trouve le personnage d’Alex, parfait coupable, il ne tombe pas comme les autres dans la facilité de l’accusation. C’est aussi pour ça que même ayant résolu une part de l’enquête, il n’est toujours pas satisfait, sentant qu’il manque encore une pièce. 

Le corps de Loki parle énormément pour lui. Il est très tatoué, ce qui en fait une énigme en plus car chaque tatouage porte ses propres symboles. Sur son cou, le symbole à la fois du chaos mais aussi de la rédemption chrétienne. Sur les doigts de la main droite, se trouve un symbole par doigt où l’on pourrait presque lire « maze », le labyrinthe en anglais.

Il a une croix chrétienne à la main gauche qui peut s’opposer à une autre croix qui appartient à Keller. Keller a une croix en bois, matériaux rappelant son métier, qui est accroché dans sa voiture et que l’on voit deux fois dans le film. La première fois, après la scène d’intro, celle-ci est stable et bien centrée au milieu du cadre. La deuxième fois, sa fille a disparu, sa rage est grande, il s’apprête à enfreindre la loi, la croix vascille totalement, devenant presque floue. Alors que la croix tatouée ne variera jamais au cours du film dû à sa nature de dessin ancré pour de bon dans la peau. La « foi » de Loki est bien opposée à celle, vascillante, de Keller. On peut même rapprocher le flou et le net des croix à leurs propres capacités à la gestion de leurs émotions.

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Il a un tic aux yeux qui permet de montrer son degré d’émotion. Le vascillement de son calme se fait sentir par ce tic, plus ou moins prononcé en fonction de l’environnement. Et il porte une bague aux symboles des franc-maçons, représentant sa recherche de la vérité et de la connaissance universelle. 

Le doute

L’ambiguïté d’Alex

Le troisième personnage important de ce film est celui d’Alex que l’on suivra longtemps comme étant l’antagoniste

Ce personnage est le plus ambivalent dû à sa caractérisation principale : son trauma qui peut être vu comme quelque chose de louche. Il est montré comme un personnage faible, d’une voix douce, qui n’aime pas qu’on le touche et qui ne semble pas sain. Son jeu oscille entre animalité, quand par reflexe se recule pour ne pas être touché et contrôle voire jouissance sadique quand il sourit alors qu’on sent qu’il cache quelque chose.

Keller le voit tout de suite comme le kidnappeur alors que Loki émet des réserves. Et pendant tout le film, on va osciller entre ces deux points de vue car Alex est loin d’être clair. Paul Dano est un acteur incroyable et il le montre encore ici.

Dans ce film, et je pense que vous avez commencé à le sentir, possède et utilise énormément de symbole. 

Les tatouages de Loki, des symboles corporels

Les symboles cachés au fil du film

Il y a plusieurs symboles qui servent à enrichir l’univers et le fond symbolique et inconscient du film.

Il y a le symbole de l’œil unique. Tout comme Odin qui échange son œil contre la sagesse, Loki aura un oeil couvert par le sang mais il aura gagné la connaissance en échange. Alex n’est montré qu’avec un seul œil ouvert, ayant subi tant de maltraitance que son deuxième œil est fermé et, lui aussi, possède en quelque sorte la connaissance.

La pluie n’apparaît que pendant le drame et accompagne la résolution, qui se change en neige.

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Il y a aussi l’utilisation de serpent, et je vous laisse aller le symbolik sur les serpents pour en apprendre plus. Mais ici, le serpent est un représentant de Loki dans la mythologie nordique.

Le symbole du labyrinthe qui reste dans son plus simple appareil : un lieu de perdition qui mène à l’inconscient. Car le labyrinthe n’est jamais vraiment montré dans le film mais toujours suggéré comme un élément flottant au-dessus de toustes et qui cause la perte de celleux qui s’en approche trop près. 

Il y a aussi les symboles de la chouette et de la maison qui seront utilisés très rapidement dans une scène. La chouette représentant la sagesse, apparaissant en trois exemplaire dans la chambre de la disparue. Et la maison de poupée, renversée, qui ne fait que montrer que la maison, donc la famille de Keller est bouleversée et mise en pièce par l’épreuve.

On voit dans le film un sifflet rouge revenir souvent. Ce sifflet est le symbole de la foi. Perdu, on siffle, comme une prière dans la nuit pour que quelqu’un ou dieu viennent nous chercher. C’est donc le retour de la foi chez Keller lorsqu’il retombera sur ce sifflet, symbole aussi de sa fille. 

La musique est aussi une très belle part symbolique du film. Que ce soit dans sa bande-son qui me fait encore frissonner que dans le choix des musiques qui suit l’intrigue passant d’une musique aux paroles presque religieuses à une chanson plus dans la rédemption. 

Le labyrinthe est partout et nulle part

La réalisation de Denis Villeneuve, part symbolique importante

Les cadres choisis par Denis Villeneuve sont très travaillés. On est souvent placé dans une sorte de caméra subjective, ce qui met mal à l’aise car on veut rarement être à la place du méchant.

Les arbres sont aussi souvent filmés comme les barreaux d’une prison ou cachant quelque chose, qui nous empêche d’avoir la pleine puissance observatrice qu’on réserve généralement aux spectateur·trices. Les arbres servent aussi à montrer le labyrinthe naturel des branches et s’appliquent à la psychée des personnages, vaste réseau imbriqué de pensées.

Et au contraire d’être cellui qui regarde, on est aussi cellui qui est séparé. L’action se passe régulièrement derrière une vitre ou les personnages sont souvent séparés par une vitre les uns des autres. 

Bref, vous l’aurez compris si vous n’avez pas encore déjà vu ce film, il est d’une puissance scénaristique (qui évidemment n’est pas parfaite) et symbolique folle. J’espère que je vous aurais donné envie de voir ce film qui me fascine toujours autant. 

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Et sur ce, je vous dit à bientôt, portez-vous bien et ouvrez l’œil ! 

Ressources supplémentaires sur l’analyse de Prisoners de Denis Villeneuve

Raphaëlle Roux

Je suis une sorte de couteau suisse du web : graphiste, illustratrice, vidéaste et photographe.

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